Piloter des environnements numériques à la voix et au geste : c'était inimaginable il y a seulement vingt ans. Aujourd’hui, les frontières entre mondes physique et numérique s’effacent peu à peu. Grâce au dialogue fécond entre les designers, les ingénieurs, les développeurs et les équipes marketing, une nouvelle ère s'ouvre pour la création industrielle, qui consacre les interfaces naturelles... et dessine un environnement dans lequel le designer numérique est irremplaçable.
Imaginer les modes de vie de demain et les manières dont les technologies seront intégrées à notre quotidien. Concevoir les objets intelligents qui peupleront notre environnement. Inventer les nouvelles formes d’interactions homme-machine, les plus naturelles possibles : autant de missions auxquelles les designers numériques s'attachent tous les jours.
Favorisé par une fusion progressive des médias - télévision, internet, téléphonie mobile... extrêmement gourmande en contenus visuels, le motion design révolutionne l'art de la conception graphique, en lui ajoutant le mouvement : typographie, graphismes, vidéos, 3D, sons... les ingrédients et les techniques varient, mais l'interactivité est de mise. Et la poésie, toujours au rendez-vous.
Nous vous en parlons régulièrement dans notre rubrique Kinect Effect. Voici à présent, toutes technologies confondues, un petit tour d'horizon des projets les plus enthousiasmants de ces derniers mois en matière de design numérique : des vidéos à regarder en haute définition, et en plein écran.
> Revisiter les interactions industrielles : un concert de code-barres
Alors que les QR codes, ces petits codes 2D reliés à Internet, fleurissent dans notre environnement, le bon vieux code-barres n'est pas obsolète pour autant : l'information qu'il stocke est suffisante pour qu'un lecteur relié à des hauts-parleurs permette d'improviser un concert.
Avec ce projet coréen, finis donc les « bip, bip » monocordes : cet emblème des caisses de supermarché est revisité avec malice... et non sans une certaine tendresse.
> Générer des chorégraphies complexes par ordinateur
Baptisée « Pluie Kinétique », cette installation visible dans l'aéroport de Singapour se décompose en deux parties, chacune composée de 608 gouttes de pluie en aluminium léger recouvert de cuivre. Suspendues à de fines cordes en acier au-dessus de deux escaliers opposés, les gouttelettes sont déplacées par un moteur commandé par ordinateur, caché dans le plafond. L'ensemble génère une « chorégraphie computationnelle » de quinze minutes, pendant lesquelles les deux parties se déplacent parfois à l'unisson, parfois en miroir, et semblent se répondre l'une à l'autre.
> Repenser la signalétique à l'heure des écrans
Projet de diplôme de Dani Wolf, de l'Académie de design et d'arts de Bezalel (Israël), ce système de signalisation d'un festival de musique imaginaire a deux objectifs : orienter le public en indiquant où chaque zone se situe, mais aussi enrichir l'expérience du festival lui-même, en créant un dialogue qui s'engage entre les signes et leurs environs. La couche d'informations ajoutées est mise à jour en temps réel, reliant l'animation et le montage aux événements du festival... pour faire de cette signalétique un élément du spectacle.
> Inventer de nouvelles surfaces interactives
Staub Leben reproduit des interactions naturelles autour des corps d'utilisateurs multiples. Captés à l'aide d'un appareil de détection de mouvements de type Kinect, les gestes des figurants sont modélisés dans un environnement de programmation graphique, puis restitués sur la surface par un dispositif de projection d'image. Avec cette installation très poétique, le designer allemand Aristides Garcia nous fait entrevoir un futur dans lequel les interfaces tactiles se passeraient d'écran.
> Hybrider l'homme et la machine
Blind Self Portrait (« Autoportrait aveugle ») utilise des algorithmes de vision par ordinateur pour construire une représentation graphique simplifiée du visage du visiteur, tandis qu'une plate-forme mobile guide sa main pour exécuter le dessin, les yeux fermés.
« L'expérience est plutôt surprenante », assurent les promoteurs de ce dispositif exposé au NYC Resistor Interactive Show de Brooklyn. Et quand le dessin est terminé, difficile de savoir qui devrait signer cette oeuvre singulière...
> Redessiner les façades de la ville
Ce « synthétiseur d'images interactives en temps réel » permet de dessiner sur les murs des immeubles grâce à une image projetée. Il est basé sur une plate-forme logicielle open-source, polyvalente, modulable et évolutive, dont le pilotage est centralisé sur un écran de contrôle : de quoi réaliser les mappings vidéo les plus sophistiqués.
> S'improviser DJ avec une table de mixage tactile
Borderlands est une interface innovante pour s'essayer à la synthèse granulaire, une technique de superposition de fragments de sons qui permet de créer des textures sonores singulières. Son logiciel est conçu pour offrir une grande souplesse d'utilisation, autorisant l'improvisation. Il permet à ses utilisateurs de « collaborer avec la matière sonore à un niveau fondamental, en se libérant des paradigmes d'interaction traditionnels tels que les boutons et curseurs ». L'utilisateur est envisagé comme « un organisateur de sons, assumant simultanément les rôles de curateur, d'interprète, et d'auditeur ».
> « Révéler la matrice » : ressentir l'espace entre les mondes physique et numérique
Aujourd'hui, les données numériques sont partout : dans notre environnement, de plus en plus d'appareils les captent et les utilisent pour enrichir notre quotidien. Pour cette raison, on dit souvent que les espaces physique et numérique s'hybrident... donnant naissance à une seule « réalité augmentée ». Mais cette autre dimension du monde étant totalement impalpable, comment donner corps à cette idée ? L'installation interactive Sensible 1.0 a trouvé la solution : en capturant en temps réel des coordonnées x, y et z dans l'espace, puis en les projetant sous forme d'image lumineuse sur l'objet physique, elle donne à « ressentir » la couche de données numériques qui nous entoure.
> Une encre invisible pour sensibiliser à l'écologie
Pour une société dont l'activité principale est l'énergie solaire, quoi de mieux qu'un rapport annuel écrit d'une encre invisible qui ne se révèle qu'à la lumière du soleil ? C'est l'idée lumineuse de l'agence Service Plan pour son client, Austria Solar. Une sensibilisation poétique à l'écologie.
> Modéliser les éléments naturels en images de synthèse
Ce film de synthèse met en scène le tsunami qui a frappé le Japon en mars 2011. Son créateur, Hugo Arcier, explique que sa volonté était de décaler le regard par rapport à la façon dont l'événement a été traité par les médias :
« Les images de synthèse ne sont pas une simple captation du réel, mais des images calculées, simulées par des ordinateurs. Elles permettent, par un troublant effet de miroir, de rendre compte de la "non-réalité" des images rémanentes de certains événements catastrophes. Cette vidéo reconstruit une image du tsunami pour rendre à cet événement, face à la profusion d’images extraites du réel, toute sa vérité. Une image épurée, sans paroles, sans mots, une évocation méditative du tsunami : une quintessence du réel ».
Au vu du résultat, on tombera d'accord avec la réflexion que propose l'auteur en conclusion : « Les images de synthèse, malgré leur caractère fictif, ne sont-elles pas une issue pour réactiver une pensée anesthésiée, redonner du sens et, par leur pouvoir d’abstraction, rendre visible l’invisible ? ».
> Et toujours... engager, surprendre, émerveiller
A l'issue de ce petit tour d'horizon de projets pour le moins inspirants, nous retiendrons au moins une chose : c'est sur l'émerveillement que nos designers numériques capitalisent pour inventer les usages des technologies de demain.
Si vous n'en êtes pas encore totalement convaincus, voici en supplément ce pur plaisir des yeux et des oreilles : un clip très « motion design » réalisé pour le groupe pop japonais Perfume.
Source : rslnmag.fr