Fini. Les copies sont ramassées, il est trop tard pour postuler. Les candidats à la diffusion d'une chaîne de télévision sur un canal numérique terrestre à destination des téléphones portables, baladeurs audio-vidéo et autres récepteurs nomades avaient jusqu'à mardi 15 janvier pour se faire connaître. Ils n'ont maintenant plus qu'à défendre oralement leur dossier et à patienter quelques semaines pour savoir si leur(s) chaîne(s) sera (seront) parmi la quinzaine prévue fin 2008... en France ! Car au Japon, la TV numérique terrestre mobile (TNT mobile) existe depuis le mois d'avril 2006, soit près de deux ans. La pionnière en la matière avait été la Corée du Sud.
Baptisé « One Seg » (un segment) au pays du Soleil-Levant, ce mode de diffusion numérique hertzien tire son nom commercial abstrus de la technique employée, ce qui, au Japon, n'effraie pas les gourous du marketing, la complexité technologique étant parfois au contraire un puissant argument de vente (même pour des pneus!). Passons. La désormais populaire TNT mobile nippone s'appelle donc « One Seg » parce que le signal qui la porte correspond à un des treize segments occupés par un canal TV... pour faire simple.
Une histoire de normes et de technologies
Contrairement à la France qui a choisi le DVB-Handheld (DVB-H) et devra faire d'importants ajouts matériels sur l'infrastructure numérique existante (DVB-T), le Japon avait d'emblée conçu un standard global, l'ISDB-T, capable de transporter à la fois des images numériques en haute-définition, pour les postes larges fixes, et des signaux compressés (en MPEG4 H.264 AVC) pour les appareils nomades. C'est que Nippon futé avait à l'époque (il y a des années) jugé que la diffusion numérique n'avait de raison d'être que si elle apportait, au moins, ces deux avantages (haute-définition, mobilité) par rapport à la TV analogique.
On ne va pas refaire l'histoire (D2Mac-paquet, Muse...), mais le fait est que cette approche a permis aux Japonais de prendre une certaine longueur d'avance. Peut-être trop d'ailleurs, car faute d'avoir alors pu travailler de concert avec les étrangers (qui ne voyaient pas les choses ainsi) et de peser suffisamment dans les instances de normalisation internationales, les Japonais sont désormais les seuls à employer leur norme ISDB-T « made in Japan ». Tout juste ont-ils réussi à la vendre au Brésil qui l'a acceptée en échange de l'implantation d'usines nippones high-tech sur son sol. C'est de bonne guerre. Pour autant, cette absence de massifs marchés étrangers n'empêche pas les industriels nippons de développer des puces tuners ISDB-T qui se vendent comme des petits pains au Japon, vu qu'elles peuvent être greffées dans une foultitude d'objets.
Des produits qui peuvent recevoir la TV
Ainsi, depuis deux ans, voit-on sans arrêt apparaître de nouveaux produits tout fiers de porter le logo « One seg » pour qu'on comprenne bien que ce sont aussi des TV, vu que cela ne tombe pas forcément sous le sens. En effet, comme la fonction de réception de la TNT mobile fait vendre, les industriels du pays s'ingénient à nicher un tuner dans une multitude d'appareils dont ce n'est pas la première vocation, tant s'en faut.
Les premiers engins à accueillir ce composant, pas plus gros qu'une pièce de 10 centimes d'euro, ont bien évidemment été les téléphones portables. Ils captent ainsi directement les signaux diffusés gratuitement par le réseau hertzien de télévision. Les chaînes (nationales et régionales) sont identiques à celles destinées aux traditionnels téléviseurs fixes. L'infrastructure cellulaire n'est quant à elle utilisée que pour les fonctions interactives associées. Des dizaines de modèles de « keitai » (mobiles) proposés par les trois principaux opérateurs japonais (NTT DoCoMo, KDDI, Softbank) permettent ainsi de regarder la télé à tout bout de champ et sans bourse délier.
Du succès de la TV sur les téléphones mobiles nippons
A ce jour, plus de 15 millions de téléphones capables de recevoir la télévision numérique terrestre mobile sont en circulation au Japon, sur un total d'environ 105 millions. Le récepteur TNT « One seg » devient presque une fonction standard dans un pays où les téléphones sont très sophistiqués et où la troisième génération (3G) a déjà été adoptée par près de quatre utilisateurs sur cinq. L'intégralité des téléphones cellulaires proposés aujourd'hui au Japon par les trois principaux opérateurs sont des modèles de troisième génération ou plus (3,5G). La proportion d'appareils intégrant un tuner TNT « One Seg » est montée à 60% dans le total des ventes enregistrées au cours du mois de novembre 2007 (dernier mois pour lequel les statistiques sont connues au jour d'écriture de ces lignes).
« L'augmentation des ventes de terminaux en 2007 par rapport à 2006 résulte de la sortie de modèles haut de gamme avec TV », affirment les fabricants regroupés en association. Il se vend grosso-modo 50 millions de téléphones mobiles chaque année au Japon. « La fonction télévision devient un critère de plus en plus important dans le choix des mobiles », confirme un vendeur de l'hypermarché de l'électronique Bic Camera dans le centre de Tokyo. Ainsi voit-on de plus en plus souvent dans les cafés ou sur les quais de gares des salarié(e)s, étudiant(e)s, lycéen(ne)s ou oisives personnes regarder le journal télévisé ou autres programmes sur leur téléphone.
Devant cet engouement croissant, les mastodontes de l'industrie des semi-conducteurs et de l'électronique n'hésitent plus à mettre des TV partout. Toshiba a ainsi ajouté cette fonction à des baladeurs audio-vidéo numériques, différentiant ainsi ses produits des populaires iPod de l'américain Apple. L'hybride téléphone/baladeur du même Apple est quant à lui hors course, puisque, n'étant pas 3G, il n'est pas encore disponible au Japon, et qu'en l'état actuel il ne fait pas non plus office de récepteur de signaux de télévision numérique hertzienne. Les appareils de Toshiba étant pour leur part également dotés d'un disque dur de large capacité, ils permettent d'enregistrer des dizaines d'heures de programmes télévisés en appuyant sur une touche au moment de la diffusion ou par programmation.
Sony a de même commercialisé récemment le plus petit baladeur/TV du moment, de la taille d'un iPod Nano, un joli objet qui attire bien des regards dans les magasins. Beaucoup se laissent tenter, sauf ceux qui ont un iPod quelconque et sont coincés, ayant dépensé des fortunes pour acheter des titres sur iTunes Store afin de l'alimenter. Pas de polémique, s'il vous plaît.Poursuivons.
La TV est décidément partout
Dans la foulée de ces téléphones et baladeurs (la liste est longue) sont arrivées les mini-TV (Sanyo, Sony etc.) dont des modèles étanches pour salle de bain. Puis sont apparues des clefs USB/TV pour ordinateur portable, accessoires que l'on trouve notamment chez le spécialiste Buffalo. Il suffit de relier ce petit périphérique à un PC et d'installer un logiciel pour le transformer en téléviseur/enregistreur. On peut même s'offrir une antenne d'intérieur pour mieux capter dans les immeubles où les ondes ont du mal à se frayer un chemin. Fujitsu, NEC, Sony ou encore Kohkinsha proposent quant à eux une série de PC ultra-portables avec télévision intégrée et bien sûr enregistreur sur disque dur.
Le pionnier nippon des téléviseurs à écran à cristaux liquides (LCD), Sharp, rencontre pour sa part un succès inattendu avec sa nouvelle série de dictionnaires électroniques enrichis de la fonction télévision. Il révolutionne ainsi un marché déjà massif. Ces encyclopédies, qui stockent entre autres la liste des milliers de « kanji » (les idéogrammes japonais), des manuels en tous genres et autres livres de référence, constituent en effet un objet vital pour une majorité de Japonais, de l'écolier au retraité. L'ajout de la fonction TV rend ces appareils un peu plus divertissants.
Le groupe Matsushita (plus connu pour sa marque Panasonic qui deviendra bientôt son nom), a, lui, choisi de glisser une puce TNT dans ses autoradios/DVD/GPS et lecteurs de DVD portables, à l'instar de Pioneer, Clarion, Kenwood ou encore Sanyo, lequel a également inclus cette fonction dans un terminal de radionavigation par satellite (GPS) de poche. Sont enfin apparus plus récemment en rayons des accessoires optionnels pour muer en téléviseurs les archi-prisées consoles de jeu portables DS/DS Lite de Nintendo et PSP de Sony.
La possibilité d'intégrer une puce dans une liste déjà bien garnie d'appareils découle directement des prouesses techniques des industriels en matière de miniaturisation. « Nous sommes parvenus a créer un module de réception de 7,3 millimètres de côté », s'est tôt vanté Sharp qui produit désormais ces circuits intégrés en série. Ainsi est né en l'espace de quelques mois un nouveau marché lucratif de composants (tuner, antennes, mini-écrans, etc.) dont la montée en puissance est telle qu'elle oblige les fabricants à doper leur production plus vite que prévu.
Des contenus TV enrichis
Selon un institut d'études marketing, mi/fin 2008 plus de 35 millions d'appareils en circulation au Japon, dont environ 30 millions de téléphones portables, pourront recevoir la TNT mobile. Cette dernière s'accompagne en outre d'un guide électronique de programmes très complet, et, en bas d'écran TV, d'informations textuelles interactives destinées aux appareils disposant d'une voie de retour, ce qui est le cas pour les téléphones portables via le réseau cellulaire.
Du coup, les chaînes enrichissent leurs images de liens vers des sites internet mobiles, qui pour faire du commerce, qui pour interroger ses téléspectateurs mobiles ou encore pour les inviter à jouer. Toutefois, jusqu'à récemment, en cliquant sur un lien pour visiter un site associé, l'écran de TV disparaissait au profit de la page Web, ce qui ne permettait pas à un téléspectateur mobile de participer à un jeu ou de répondre à toute autre sollicitation interactive tout en continuant de regarder le programme. Cette lacune vient d'être résolue par le groupe d'électronique nippon NEC. La solution n'est pas encore généralisée, mais est employée depuis cette semaine par une chaîne de la région nippone d'Hiroshima. Cette dernière diffuse une émission que ses téléspectateurs peuvent regarder sur leur téléphone portable en même temps qu'ils pianotent sur leur clavier pour intervenir sur un site communautaire allant de pair. Les mobilautes peuvent ainsi continuer à suivre sur une moitié d'écran le programme « Diginama, banana chousadan » (un talk-show populaire à la japonaise), pendant qu'ils lisent sur l'autre moitié les contributions déposées en ligne ou répondent à des sondages.
L'association entre une émission et un site communautaire permet ainsi à la chaîne de savoir quels types de téléspectateurs sont actifs devant leur petit écran grâce aux informations personnelles communiquées par ces derniers lors de leur inscription, obligatoire, au réseau communautaire.
L'initiative de la chaîne d'Hiroshima est un prélude à une flopée de services du même acabit qui devraient prochainement déferler, de nouveaux canaux devant être libérés d'ici peu pour permettre la diffusion de programmes spécifiquement conçus pour les téléspectateurs mobiles. Les opérateurs (NTT DoCoMo et KDDI en tête) se sont préparés en s'associant aux groupes de télévision privés. On en reparlera le moment venu.
D'ici là, pour rassurer ceux qui rêvent de voir en France des accessoires, mini-TV et autres appareils comme il en existe à la pelle au Japon, sachez que les industriels du pays du Soleil-Levant n'ont pas attendu qu'on vienne les supplier pour développer des puces au format DVB-H à intégrer dans une diversité d'engins électroniques qu'ils se feront un plaisir de vous proposer en temps utile.
Source CLUBIC