L’histoire du bâtiment et de la construction est inséparable de celle des grandes civilisations qui se sont succédées depuis le néolithique. On sait à présent que la brique crue et séchée au soleil, qui permettra les premières constructions solides et durables, apparaît dès le huitième millénaire avant notre ère. Il faudra cependant attendre le début du troisième millénaire avant notre ère pour que la maîtrise de la fabrication des briques cuites et de la taille des pierres de grande dimension, permettent la construction des premières grandes cités en Mésopotamie et la réalisation de monuments particulièrement imposants pour l’époque, comme certains ziggurats, ou en Égypte les premières pyramides à degrés - les mastabas - qui pouvaient culminer à plus de 70 mètres de haut.
Au début du sixième siècle avant notre ère, cette maîtrise de la taille de différents types de pierres, combinée à de remarquables avancées dans les domaines des mathématiques et de la physique, permirent la réalisation en Grèce d’une multitude d’édifices, comme le Parthénon, dont le raffinement et la perfection nous étonnent encore aujourd’hui.
Au premier siècle avant notre ère, les Romains mirent au point, par tâtonnements successifs, un ciment aux propriétés tout à fait remarquables qui a permis la réalisation de bâtiments et d’ouvrages d’art d’une taille, d’une solidité et de longévité sans égale, puisque certains, comme le Panthéon ou le pont du Gard sont encore debout aujourd’hui. Il fallut cependant attendre 1818 pour que l’ingénieur français Louis Vicat développe le premier procédé industriel viable de fabrication de ciment artificiel et 1860 pour qu’un autre Français, Joseph Monier, invente le béton armé.
L’apparition du parpaing, ou moellon, - bloc de béton manufacturé - peu après la seconde guerre mondiale, constitua une nouvelle avancée majeure dans le domaine de la construction, en permettant l’édification plus rapide et moins coûteuse de murs et de bâtiments. Il est frappant de constater que, depuis plus de 70 ans, la durée moyenne de construction d’un bâtiment ou d’une maison individuelle a peu diminué, alors que dans tous les autres secteurs industriels la productivité s’est accrue de manière considérable.
Il faut en effet aujourd’hui encore 10 mois en moyenne (sans compter les délais de formalités administratives) pour construire une maison individuelle selon la méthode traditionnelle, c’est-à-dire en ayant recours à plusieurs entreprises, dont les ouvriers vont venir successivement réaliser les différentes phases de construction, terrassement, fondation, gros œuvre, électricité, plomberie, revêtements et aménagements intérieurs. À ce délai s’ajoute le coût élevé de la construction, de l’ordre de 1400 € du mètre carré en moyenne (140 000 euros pour une maison de 100 m2, hors coût du terrain) en passant par un constructeur, la formule préférée des Français.
Mais la combinaison intelligente de trois innovations, la robotique, l’impression 3D et les nouveaux matériaux écologiques, est en train de bouleverser ce secteur de la construction, qu’il s’agisse des bâtiments de grande taille ou de maisons individuelles. Depuis la présentation, en 2004, du premier «robot-maçon », les projets se multiplient à travers le monde. Aux États-Unis, la startup américaine ICON a présenté, à l’occasion de SxSW – la grande messe texane annuelle de l’innovation – un prototype de maison en 3D, réalisée par une imprimante géante, qui a fait sensation. Cette maison de plain-pied, d’une surface de 60 m² répond à toutes les normes de résistance et d’isolation. Mais surtout, elle peut être construite en une seule journée pour un coût d’environ 8 000 € !
Autre exemple de cette révolution en cours : cette année, Eindhoven, aux Pays-Bas, sera la première ville au monde à mettre en vente des maisons fabriquées par impression 3D, dans le cadre du Project Milestone, associant l'université technique d'Eindhoven, la métropole, l'entreprise de BTP Van Wijnen, Saint Gobain-Weber Beamix et le bureau d'études Witteveen+Bos. À l’exception de la première maison, qui sera imprimée dans les laboratoires de l’université puis emmenée sur place, les quatre autres seront imprimées directement sur le site.
Pour ce projet, l’impression repose sur un bras robotisé qui superpose des couches d'un béton spécial, de grande fluidité, qui peut facilement être débité par la buse de la tête d'impression. Il se solidifie ensuite rapidement grâce à un additif spécifique. À partir d'un modèle informatique, l'imprimante commence par le sol et imprime une couche de béton, qui monte ensuite jusqu'à l'étage.
Le recours à l’impression 3D pour la construction présente plusieurs avantages décisifs : premièrement, il réduit considérablement le gaspillage de matériaux et le coût de main-d'œuvre ; deuxièmement, il permet la réalisation de formes et de configurations complexes, impossibles à réaliser avec la construction traditionnelle. Autre avantage, il est possible de prévoir et d’intégrer directement au cours de l’impression l’ensemble des réseaux qui parcourent la maison, eau, électricité, télécommunications et capteurs domotiques. Selon Rudy van Gurp, un représentant de Van Wijnen, 5 % des habitations aux Pays-Bas seront ainsi imprimées en 3D d'ici cinq ans.
En Russie, une start-up californienne a construit dans une banlieue de Moscou une maison de 40 m² en 24 heures pour un coût de 10 500 euros ! En Chine, l’entreprise WinSun a même réussi à en édifier une dizaine dans le même temps pour deux fois moins cher !
Mais on peut aller encore plus loin avec des maisons imprimées et modulables, utilisant des matériaux de recyclage. En avril 2018, au cours de la semaine du design de Milan, les visiteurs ont pu découvrir l’étonnante « 3D Housing 05 », une maison conçue et réalisée conjointement par le cabinet d'architecte italien CLS Architects et le bureau d'études spécialisé dans la construction Arup. Le principe est simple mais novateur : proposer une maison écologique recyclable qui peut être détruite puis reconstruite n'importe où, avec ses propres débris.
La 3D Housing 05 se monte en une semaine. Au sein de ses 100 m², on retrouve une grande pièce à vivre, une cuisine, une chambre, une salle de bains ainsi qu'une terrasse sur le toit, qui bénéficie d'un petit potager où l'on cultive fruits et légumes. L'impression 3D permet de personnaliser l'espace, en fonction de ses désirs et contraintes. Avec un coût moyen de 1000 euros le mètre carré, cette maison est également sensiblement moins chère que son homologue, réalisée avec les méthodes traditionnelles.
Toujours en Italie, la start-up WASP (World’s Advanced Saving Project) propose une maison imprimable, réalisée entièrement à partir de matériaux naturels et écologiques. Les murs sont faits d’un mélange de terre, d’argile, de limon, de sable, de paille de riz et de chaux hydraulique. Les concepteurs de cette maison de 20 m² se sont inspirés des nids de guêpes pour assurer à cette habitation une bonne solidité et une isolation thermique irréprochable, grâce à une structure alvéolaire des murs.
La construction de cette maison ne demande qu’une dizaine de jours et son coût est également d’environ 1000 € du mètre carré (hors fondation et toitures). Mais plus encore que son prix et sa rapidité de réalisation, les inventeurs de ce concept mettent en avant sa dimension écologique En effet, l’usage de matériaux naturels a une empreinte environnementale bien plus faible que celle des briques et du béton couramment utilisés. En outre, cette maison a été pensée pour se passer de système de chauffage ou de climatisation, sa conception devant permettre de maintenir une température ambiante constante toute l’année.
En France, il n’a fallu que deux jours et demi à une équipe du laboratoire des sciences du numérique de l’université de Nantes, pour réaliser, en mars 2018, à l’aide d’une énorme imprimante, les murs d’une maison de 95 m². Depuis juillet dernier, cette maison de quatre chambres, deux salles d’eau, deux dressings et une pièce de vie de 38 m², est habitée par des locataires.
Dans cette réalisation innovante, chercheurs et ingénieurs ont opté pour un robot équipé d’un bras articulé guidé par laser. Ce robot est conçu pour travailler de l’intérieur à partir de la dalle qui a été coulée, ce qui permet un gain de place important et la réalisation de bâtiments et de maisons en milieu urbain. Outre la rapidité de construction, l’économie de matériaux pour les murs approche les 20 %, par rapport aux parpaings, le tout en se passant d’échafaudages.
Autre avantage, cette nouvelle technique permet d’obtenir facilement des formes courbes, ce qui permet une insertion « sur mesure » de ces habitations en milieu urbain. Ce nouveau procédé de construction BatiPrint3D a permis à la France de devancer ses principaux concurrents étrangers, américains et chinois notamment. En effet, les Chinois font de la construction 3D mais ils déplacent les éléments pour les assembler sur site, contrairement au robot nantais qui travaille sur place.
Autre point fort de cette construction qui a reçu la certification du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) : le recours voulu à des circuits courts et locaux, qui réduit sensiblement l’empreinte carbone de chaque chantier. Tous les éléments et les matériaux utilisés viennent en effet de moins de 100 km de Nantes. Dans les mois à venir, le concept Yhnova Batiprint3D devrait s’étendre à l’ensemble de la région nantaise, avec un lotissement périurbain, mais également la réalisation de maisons de retraites et de crèches.
Complément indispensable de l’impression 3D, les « robots-bâtisseurs » se multiplient à travers le monde et ne cessent d’améliorer leurs performances et leur polyvalence. C’est par exemple le cas d’Hadrian X, un robot monté sur un camion à moteur. Cette machine très mobile fabriquée par la société australienne Fast Brick Robotics (FBR) se veut la toute première solution de maçonnerie entièrement automatisée et peut accomplir des tâches variées. Elle vient de construire une première maison de 180 mètres carrés – trois chambres et deux salles de bains – en seulement trois jours ! (Voir article et video The West Australian). Il est vrai que ce robot peut poser plus d’un millier de briques par heure, alors qu’un maçon en pose rarement plus de 500 par jour. Un seul Hadrian X (en référence au célèbre mur construit par l’Empereur romain Hadrien pour séparer l’Angleterre de l’Écosse) pourrait ainsi construire plus d’une centaine de maisons par an…
Ce robot ne nécessite aucune intervention humaine grâce à son guidage laser qui lui indique où poser ses briques et comment les empiler. Il peut également être programmé de manière à prévoir tous les espaces nécessaires dans la construction finale pour que les ouvriers, ou d’autres types de robot, viennent y ajouter les portes et fenêtres manquantes.
Au Nevada, le nouveau bâtiment de l'Université des Arts qui ouvrira ses portes en mai 2019 nécessitera l'utilisation d'environ 100 000 briques sur ses trois étages. Mais pour la première fois au Nevada, environ 60 % de ces briques seront posées par SAM, un robot maçon (Voir Building Design+Construction). SAM, qui signifie Semi-Automated Mason (Maçon Semi-Automatique), est utilisé dans le cadre d’un projet de recherche visant à réduire les délais et les coûts de construction et à contribuer à la pénurie de main-d'œuvre que connaît cet état rural des Etats-Unis. L'appareil utilise un bras robotisé et un système d'alimentation en matériaux pour poser une brique toutes les huit secondes.
Le bras robotisé répartit le mortier sur la brique et utilise un système guidé par laser pour poser les rangées. Selon Q & D Construction, l'entreprise générale sur ce projet, SAM peut accomplir le travail de cinq maçons. Pour l’instant, ce robot n’est pas entièrement autonome et ne peut travailler que sur de grands murs ininterrompus. Il a par ailleurs besoin d’ouvriers humains pour installer les échafaudages, charger les briques et le mortier, aligner la rangée, et réaliser les finitions sur les briques. Mais, même avec ses performances encore limitées, Sam permet déjà de réduire de moitié le temps nécessaire pour faire la maçonnerie des bâtiments
Ces ruptures technologiques majeures en cours dans la construction arrivent à un moment où ce secteur d’activité va connaître un essor sans précédent. Selon l'étude britannique "Global Construction Perspectives 2025" publiée par Oxford Economics, le marché mondial du BTP devrait croître de plus de 70 % d'ici à 2025 pour atteindre le chiffre les 11 500 milliards d'euros. A plus long terme, le marché mondial de la construction et du bâtiment devrait connaître une croissance de 6 % par an pour répondre aux besoins en logements, bureaux et infrastructures des 2,2 milliards d’êtres humains supplémentaires qui peupleront notre Terre en 2050.
Rien qu’en Europe, 925 milliards d’euros de projets à réaliser d’ici 2030 ont ainsi été identifiés par Business France. Parmi les six pays étudiés, l’Allemagne arrive en tête des investissements programmés avec 287 milliards d’euros de projets, devant l’Italie (223 milliards d’euros), le Royaume-Uni (167 milliards), la France (139 milliards). Avec un chiffre d'affaires total dépassant 170 milliards d'euros, plus de 1,4 million de salariés et plus de 536 000 entreprises, le secteur du bâtiment et des travaux publics (plus connu sous son acronyme BTP) est également un poids lourd de l'économie française.
Si on extrapole la tendance actuelle, on peut prévoir que, d’ici 10 ans, un quart des maisons et bâtiments seront partiellement ou entièrement réalisés par des système robotiques autonomes, associant automates et impression 3D et qu’à l’horizon 2040, c’est plus de la moitié du secteur global de la construction qui sera automatisé et robotisé dans le monde. Cette transition économique et technologique sera plus importante encore que celle qui vit l’apparition de la brique cuite, sous l’Antiquité, ou que celles liées à l’invention du béton et à l’emploi de l’acier dans la construction, au XIXème siècle.
La gestion numérique du cycle de vie des bâtiments permettra non seulement une diminution sans précédent de la durée moyenne de construction et une réduction significative des coûts, mais intégrera, de la conception au recyclage, l’utilisation de matériaux entièrement biocompatibles, à faible empreinte carbone et respectueux de l’environnement, ainsi que l’implantation systématique d’une multitude de microcapteurs connectés qui rendront chaque bâtiment interactif et intelligent.
S’il est accompagné par une volonté politique et sociale forte, ce saut technologique pourra permettre de proposer à chacun, quels que soient ses revenus et son lieu d’habitation, un logement digne, qui pourra évoluer de manière extrêmement souple avec le parcours personnel et professionnel de chaque être humain et rendra, in fine, à la Nature, tous les matériaux qui auront été prélevés pour le fabriquer. Ainsi, si nous en avons la volonté, le droit élémentaire de vivre sous un toit, dans des conditions décentes, deviendra enfin une réalité pour l’ensemble de l’Humanité.